Claude est trĂšs heureux de connaĂźtre Manon. Depuis leur rencontre, il nâest plus le mĂȘme. Cette fille lâintrigue, son air intelligent lui plaĂźt, sa coiffure en queue de canard lâĂ©tonne. Elle est dynamique, participante, aime le milieu carabin oĂč elle est active et dĂ©vouĂ©e. Elle a lâair dâĂȘtre sĂ»re dâelle. Il ne peut cesser de penser Ă elle.
Manon nâen est pas Ă ses premiĂšres armes Ă lâAGEUM. Elle aime participer aux activitĂ©s de lâAssociation et affectionne la compagnie des Carabins qui gravitent dans sa sphĂšre. Elle accepte dâaccompagner plusieurs dâentre eux Ă diffĂ©rentes activitĂ©s. Elle a participĂ© au Varsity Week-end 1953, organisĂ© par Jacques Gaboury et est allĂ©e Ă Toronto. En 1954, Manon nâĂ©tait pas du groupe mais Ă cause de son amitiĂ© avec Gaboury, qui a obtenu la rĂ©ception Ă lâĂźle Sainte-HĂ©lĂšne offert par la ville de MontrĂ©al, elle est venue donner un coup de main Ă la prĂ©paration de la visite des Ontariens.
DĂšs ses premiĂšres frĂ©quentations avec Manon, Claude lâinvite Ă participer aux soirĂ©es avec son groupe dâamis. Les amies de ses amis sont stupĂ©faites par la nouvelle que Claude a «cassé» avec Denise B. Elles aiment bien cette derniĂšre et sortent avec elle pour magasiner ou pour dâautres activitĂ©s afin de lâaider Ă traverser les durs moments quâelle vit. Ă la premiĂšre rencontre avec Manon, elles sont toutes polies, mais sans plus. Petit Ă petit, tout redevient normal et elle sâintĂšgre bien Ă elles.
Manon invite Claude Ă rencontrer ses parents. Ils habitent rue de Vimy Ă Outremont. Claude est nerveux car ce sont des gens dâOutremont et en plus, son pĂšre est mĂ©decin et professeur Ă lâUniversitĂ©. Le premier contact est facile et agrĂ©able. Ses parents sont des gens simples, bons, gĂ©nĂ©reux qui ne se prennent pas pour dâautres. Ceci est contraire Ă ce que Claude avait imaginĂ©. Ils ne sont pas riches et ne possĂšdent pas leur maison. Ils vivent sur le salaire du docteur qui est directeur de lâInstitut du Radium et professeur Ă lâUniversitĂ©. Pour recevoir Claude, la mĂšre de Manon, que tous appelle Gaby, a prĂ©parĂ© un goĂ»ter avec des canapĂ©s qui sont dĂ©licieux. Câest une femme racĂ©e et Claude dĂ©couvre quâelle est un vrai cordon bleu. Elle a Ă©tudiĂ© dans sa jeunesse avec la rĂ©putĂ© soeur Edith qui lui a enseignĂ© les secrets de la cuisine. Cette sĆur Sainte-Croix travaille dans son couvent Basile-Moreau et le local de sa classe comprend une cuisine moderne, complĂšte, construite avec lâargent de ses parents et Ă©quivalente Ă celles des grands chefs de France. Rien ne manque. Le nombre de ses Ă©lĂšves est limitĂ©, car elle est reconnue et beaucoup de parents cherchent Ă y inscrire leur fille. SĆur Edith nâaccepte que celles qui dĂ©montrent les qualitĂ©s nĂ©cessaires et un engouement particulier pour la cuisine. Gaby est heureuse dâĂȘtre lâune dâelles.
Claude est Ă©galement bien impressionnĂ© par le pĂšre de Manon, le docteur OrigĂšne Dufresne. Câest un homme brillant, renommĂ© et apprĂ©ciĂ© de ses collĂšgues. Claude juge que câest un homme unique. NĂ© en 1899 Ă Saint-Pie-de-Bagot oĂč il fait ses Ă©tudes primaires avant de rentrer au sĂ©minaire de Saint-Hyacinthe pour ses Ă©tudes secondaires, il pense Ă la prĂȘtrise Ă la fin de ses cours mais dĂ©cide finalement dâentrer en mĂ©decine Ă lâUniversitĂ© de MontrĂ©al. ParallĂšlement Ă ses Ă©tudes, il suit des cours dans plusieurs facultĂ©s et obtient le certificat de littĂ©rature française, celui de littĂ©rature anglaise, la licence en philosophie, le diplĂŽme en sciences sociales Ă©conomiques et politiques et la licence de sciences naturelles (botanique, biologie et gĂ©ologie). A sa sortie de lâUniversitĂ©, il sâinscrit pour obtenir le certificat de mathĂ©matique, physique et chimie tout en Ă©tant dĂ©monstrateur en chimie gĂ©nĂ©rale et en chimie physiologique. LâannĂ©e suivante, il frĂ©quente lâUniversitĂ© de Strasbourg et un an aprĂšs il entre Ă lâUniversitĂ© de Paris oĂč il suit les cours sur la radioactivitĂ© de Madame Curie, tout en faisant des recherches Ă lâinstitut Pasteur et est inscrit Ă des cours de radiologie clinique. AprĂšs un cours de quatre mois Ă lâhĂŽpital John Hopkins de Baltimore, il devient stagiaire au Memorial Hospital de New York. RentrĂ© Ă MontrĂ©al, lâUniversitĂ© le charge de cours de physique et dâĂ©lectro-radiologie. De plus, il devient professeur agrĂ©gĂ© aux facultĂ©s de MĂ©decine et de Sciences.
Le docteur Dufresne voulant partager ses larges connaissances et sa vaste expĂ©rience publie dâinnombrables articles de nature paramĂ©dicale, mĂ©dicale, Ă©lectrologique et radiologique dans les journaux et les revues mĂ©dicales. Il est appelĂ© Ă Ă©crire des Ă©ditoriaux dans lâUnion MĂ©dicale du Canada et le Journal des Radiologistes. De plus, il prononce des causeries, des confĂ©rences et des allocutions devant des sociĂ©tĂ©s scientifiques, des congrĂšs nationaux et internationaux, des associations, des journĂ©es mĂ©dicales, Ă la radio et Ă la tĂ©lĂ©vision. Il instigue et collabore Ă la fondation de cercles dâĂ©tudes, dâassociations et de journaux mĂ©dicaux. En plus des ses titres universitaires, il reçoit un grand nombre de titres mĂ©dicaux, hospitaliers et honorifiques. Enfin, il est membre honoraire ou Ă vie de multiples sociĂ©tĂ©s mĂ©dicales, scientifiques, universitaires dont la Society of Nuclear Medecine. Il a Ă©tĂ© le mĂ©decin personnel du frĂšre AndrĂ© et celui de lâex maire de maire de MontrĂ©al, Camilien Houde. Claude est trĂšs impressionnĂ© par le curriculum vitae du docteur Dufresne qui demeure, malgrĂ© tout, toujours un homme simple, facile dâapproche et de commerce agrĂ©able.
Le docteur Dufresne fait partie de lâĂ©lite canadienne française du QuĂ©bec dâhommes et de femmes trĂšs bien Ă©duquĂ©s, intelligents, racĂ©s et spĂ©cialisĂ©s dans leur travail. Ils ont gĂ©nĂ©ralement fait un cours classique et des Ă©tudes universitaires avancĂ©es. Ils ont de la classe, sont fins et distinguĂ©s. Beaucoup de ces personnes sont des sommitĂ©s dans leur domaine et voyagent dans le monde pour participer Ă des organisations internationales desquelles ils sont membres. GĂ©nĂ©reux, ils partagent leur savoir avec leurs concitoyens et donnent des confĂ©rences populaires sur les sujets quâils maĂźtrisent. Câest ainsi que le docteur Dufresne, suite Ă lâexplosion de la bombe atomique sur Hiroshima, devient le grand spĂ©cialiste sur ce sujet et est appelĂ© Ă expliquer aux MontrĂ©alais la fission atomique et les consĂ©quences dâune telle explosion. Dâautres, comme le docteur Samuel Letendre, LĂ©on Lortie, Ădouard Montpetit et le gastronome GĂ©rard Delage donnent des confĂ©rences ici et lĂ au QuĂ©bec, comme Ă la grande salle de confĂ©rence au pied de lâoratoire Saint-Joseph sur le chemin de la Reine-Marie. Claude assiste Ă plusieurs de ces rencontre et en sort mieux renseignĂ© et toujours impressionnĂ© par ces personnages Ă la culture si Ă©tendue. Malheureusement, il constatera, avec la venue de la modernitĂ©, que, petit Ă petit, cette Ă©lite canadienne française, qui reprĂ©sentait ce que le QuĂ©bec et mĂȘme le Canada avaient de mieux, sâamenuisera.
Au moment oĂč Manon prĂ©sente Claude Ă son pĂšre, celui-ci traite surtout les cancĂ©reux Ă lâInstitut du radium de MontrĂ©al oĂč il est directeur. LâInstitut est localisĂ© dans lâex hĂŽtel de ville de Maisonneuve sur la rue Ontario Est et est exigu. Les bureaux des mĂ©decins sont au rez-de-chaussĂ©e et au haut dâun grand escalier majestueux qui monte Ă lâĂ©tage se trouve une grande salle transformĂ©e en chambre avec lits multiples comme dans un hĂŽpital. Des patients trĂšs malades sont entassĂ©s dans ce local. Le docteur Dufresne, rĂ©voltĂ© de cette situation, rĂ©clame depuis des annĂ©es la construction, Ă MontrĂ©al, dâun grand centre de recherches sur le cancer et dâun hĂŽpital attenant pour traiter les cancĂ©reux affligĂ©s de types diffĂ©rents de cancer. MalgrĂ© les nombreuses promesses quâil a reçues des hommes politiques qui viennent se faire traiter Ă lâInstitut, lâappui de Camilien Houde et celui de la communautĂ© mĂ©dicale de MontrĂ©al, le projet nâest pas encore acceptĂ© Ă QuĂ©bec. Mais le docteur ne perd pas confiance et croit quâil lâaura bientĂŽt car le nouveau dĂ©putĂ© de Bagot, Daniel Johnson (pĂšre), lui a promis de tout faire pour aider cette cause dans laquelle il croit lui-mĂȘme. Il veut aussi encourager un gars de Saint-Pie (oĂč Johnson a sa maison) qui a fait sa marque et qui est une sommitĂ© mĂ©dicale Ă MontrĂ©al. Le docteur fait aussi un bĂ©nĂ©volat gĂ©nĂ©reux pour ses malades. Il va rĂ©guliĂšrement voir les plus pauvres Ă domicile pour les examiner, les consoler et surtout pour leur injecter une dose de morphine afin dâattĂ©nuer les douleurs de la maladie. Manon lâaccompagne quelques fois dont sur la rue de Bullion oĂč elle est toujours surprise de trouver ces pauvres malades dans des logements misĂ©rables et malpropres, des taudis, oĂč elle voit son pĂšre aller vers eux.
De son vivant, le cĂ©lĂšbre frĂšre AndrĂ© venait voir le docteur Dufresne pour se faire traiter. DĂšs que le bruit de sa visite courait Ă lâInstitut, les malades attendaient fĂ©brilement ce jour car il pouvait ĂȘtre pour eux, pensaient-ils, le moment de leur guĂ©rison. Le docteur Dufresne, grand catholique (en 1954, il est nommĂ© commandeur de lâOrdre de Saint-Sylvestre et investi par le dĂ©lĂ©guĂ© apostolique, le cardinal Bagdogis) ne croit pas dans les capacitĂ©s de guĂ©risseur du frĂšre AndrĂ©, mais il nâen souffle mot Ă personne. Il lui permet de monter Ă lâĂ©tage, aprĂšs lâavoir examinĂ©, pour voir les malades. Il sait que sa visite fera un bien moral Ă ses patients. Un jour, suite Ă sa visite, le frĂšre AndrĂ© en descendant le grand escalier sâaccroche dans sa soutane et dĂ©boule dans lâescalier. Les nombreuses personnes qui lâattendaient au bas de lâescalier, pour le voir ou le toucher, sont stupĂ©faites et se prĂ©cipitent vers lui. Ils le voient se redresser, se lever et marcher normalement. Il nâest pas blessĂ©. «Câest un miracle» de sâexclamer les tĂ©moins. «Oui, ça câest un vrai miracle» de rĂ©pĂ©ter le docteur en souriant.
A ses 30 ans, le docteur Dufresne rencontre une MontrĂ©alaise Gabrielle, dite Gaby, Desjardins. Elle a 22 ans et est membre dâune famille de cinq enfants dont la petite Manon qui est dĂ©cĂ©dĂ©e. Un an plus tard, le lundi 13 avril 1931, ils se marient Ă lâĂglise Saint-Louis-de-France Ă MontrĂ©al. AprĂšs la naissance dâun premier garçon, Roger, ils ont une premiĂšre fille, le 26 mai 1933, que Gaby nomme Manon (en souvenir de sa petite sĆur). Le curĂ© refuse dâinscrire le prĂ©nom Manon sur le certificat de baptĂȘme «parce quâil nây a pas de sainte de lâĂ©glise catholique qui porte ce nom» dit-il. Gaby ajoute le nom Madeleine mais pour elle câest Manon et elle lâappellera toujours ainsi. Ils ont deux autres enfants, Lise et Marc.
Manon est inscrite Ă lâĂ©cole Ă©lĂ©mentaire de Notre-Dame du Bonsecours Ă Outremont, elle termine sa sixiĂšme annĂ©e avec de trĂšs bonnes notes. Ses parents, qui vivent Ă©troitement dans un logement au 455 de la rue Outremont, dĂ©cident de la placer comme pensionnaire au couvent Notre-Dame-des-Anges de Ville Saint-Laurent afin quâelle puisse mieux faire ses devoirs. GrĂące Ă ses notes de lâĂ©lĂ©mentaire, ils rĂ©ussissent Ă lui faire «sauter» une annĂ©e scolaire. Elle est acceptĂ©e en 1iĂšre annĂ©e de Lettres-Sciences (Ă©quivalent de la 8iĂšme annĂ©e). Cela fait aussi leur affaire puisquâils prĂ©fĂšrent que leurs filles vivent dans des institutions diffĂ©rentes. Sa jeune sĆur Lise est placĂ©e au couvent Notre-Dame-des-Neiges prĂšs de la rue CĂŽte Ste-Catherine. Les sĆurs Sainte-Croix dirigent le couvent de Saint-Laurent dâune main de fer et la discipline est non seulement de rigueur mais appliquĂ©e sĂ©vĂšrement. Manon en souffre beaucoup. Heureusement, elle suit des cours de piano et de musique qui la soulagent. MalgrĂ© tout cela, elle finit 1iĂšre de sa classe. Elle se plaint Ă son pĂšre et demande de changer de couvent ou de devenir une Ă©lĂšve externe. Il ne bronche pas et, aprĂšs 6 ans, en janvier, alors quâelle est en rhĂ©torique, il accepte finalement. Elle devient externe. Heureuse, elle termine lâannĂ©e dans les honneurs et sort enfin de ce milieu quâelle a si dĂ©testĂ©. Elle continue comme externe au collĂšge JĂ©sus-Marie pour terminer son cours classique par les cours de Philo 1 et Philo 2.
Elle rĂȘve dâentrer Ă lâUniversitĂ© et Ă sa carriĂšre future. Pendant ses trois derniĂšres annĂ©es, elle a bien aimĂ© les cours dâespagnol quâelle a suivis le soir avec Manolita Del Vayo aux Latins dâAmĂ©rique. Elle aimerait Ă©tudier les langues mais est ouverte Ă dâautres options. Elle sâinforme Ă gauche, Ă droite. De passage Ă lâUniversitĂ©, son pĂšre se rend Ă la facultĂ© de Lettres pour cueillir des prospectus sur lâenseignement des langues et rencontre au hasard son ami Maximilien Caron, doyen de la facultĂ© de droit, qui cherche Ă comprendre ses allĂ©es et venues. Il apprend que Manon veut Ă©tudier les langues. Il sâinforme de ses notes au cours classique. Surpris de si bons rĂ©sultats, il sâexclame: «ce nâest pas en Lettres quâelle doit aller, mais en Droit» et invite le docteur Dufresne Ă passer Ă son bureau pour y prendre les documents pertinents.
Manon est curieuse et les lit attentivement. Elle est agrĂ©ablement surprise dâapprendre le rĂŽle dâun avocat et les sphĂšres dâactivitĂ©s dans lesquelles il peut pratiquer. Elle dĂ©cide dâentrer en droit et y accĂšde en 1953. Au moment de sa rencontre avec Claude, elle est en troisiĂšme annĂ©e et une des huit filles de cette classe de 108 futurs avocats, dont ses confrĂšres Robert Bourassa qui deviendra PM du QuĂ©bec, Antonio Lamer qui sera juge-en-chef de la Cour SuprĂȘme du Canada et plusieurs autres qui deviendront des juges, des avocats renommĂ©s et des hommes dâaffaires importants de la sociĂ©tĂ©. Les notes de Manon en droit se maintiennent toujours au niveau du dĂ©cile supĂ©rieur et elle se situe parmi les premiers de sa classe. Durant les week-ends, elle travaille dans un salon de coiffure. Câest la propriĂ©taire qui sâĂ©tait plainte Ă Gaby que les employĂ©s la volaient. Celle-ci lui suggĂ©ra dâengager Manon. Elle est responsable de la caisse, de faire les shampooings et de la propretĂ© du plancher (Claude faisait le mĂȘme travail dans la shop de barbier de son pĂšre). Pour son travail, elle reçoit de modestes gages mais apprĂ©cie surtout sa coiffure en queue de canard que la coiffeuse lui fait gratuitement.
Manon insiste pour prĂ©senter Ă Claude son grand-pĂšre ThĂ©ophile Dufresne, connu comme le pĂšre «Toffil», qui vit Ă Saint-Pie-de-Bagot. Il a Ă©tĂ© cultivateur et le grand-pĂšre (pas question de pĂ©pĂšre ou de mĂ©mĂšre dans la famille Dufresne) vit sa retraite dans le village. Câest un grand et mince bonhomme au beau sourire qui donne une poignĂ©e de main dâhomme fort qui est inoubliable. Il est veuf et vit avec sa fille Laurette au deuxiĂšme Ă©tage dâune maison sur la rue adjacente Ă lâĂ©glise avec vue sur cette derniĂšre, sur lâĂ©cole et sur le cimetiĂšre. Le balcon est large et, en ce beau dimanche, tout le monde y passe lâaprĂšs-midi. Le grand-pĂšre raconte Ă Claude que le vieux cimetiĂšre a Ă©tĂ© dĂ©mĂ©nagĂ© par «les possĂ©dĂ©s rouges du yiable» pour faire place Ă lâĂ©cole. Claude lâĂ©coute mais ne comprend pas. Ce doit ĂȘtre un ordre particulier, peut-ĂȘtre la franc-maçonnerie. Il nâinterrompt pas le grand-pĂšre qui rĂ©pĂšte la mĂȘme chose trois ou quatre fois en racontant une histoire sur un ton scandalisĂ©. Claude, curieux, se tourne vers le docteur Dufresne et lui demande «qui sont les possĂ©dĂ©s rouge du diable?». Le docteur sourit et lui dit Ă lâoreille: «les libĂ©raux». Claude vient de comprendre et sourit. Il apprend que « Toffil» est un «bleu» depuis toujours. Tellement «bleu» quâĂ une Ă©lection fĂ©dĂ©rale passĂ©e, on raconte que les «bleus» nâont rĂ©coltĂ© quâun vote dans le village et câĂ©tait celui de «Toffil». Câest comme ça au QuĂ©bec, on est «bleu» ou on est «rouge» et on lâest pour la vie. Du moins au provincial, car les «bleus» nâaiment pas les conservateurs fĂ©dĂ©raux et la plupart sont «rouges» Ă Ottawa. Alors, Claude lui parle de politique, de Daniel Johnson qui est le dĂ©putĂ© provincial de «Toffil» et pour qui il a fait des discours, de Duplessis, de Drew et de son travail pour les «bleus». Le grand-pĂšre est ravi. Le temps du dĂ©part arrive et en embrassant Manon lui glisse Ă lâoreille «celui-lĂ , si tu peux le garder, garde-le». Elle sourit et raconte son commentaire dans lâauto aux rires de tous.
Durant lâĂ©tĂ©, la famille Dufresne dĂ©mĂ©nage Ă son chalet du lac Guindon dans les Laurentides. Câest une vieille et belle maison de bois, de deux Ă©tages avec de grands balcons sur un vaste terrain comprenant un grand jardin dâarbres fruitiers protĂ©gĂ©s par un immense grillage, un poulailler oĂč picotent une quinzaine de poules, un court de badminton et un jeu de croquet⊠en construction. La maison appartient au docteur Dufresne. Il lâa achetĂ©e de son beau-pĂšre qui a construit dans le voisinage une maison pour chacun de ses quatre enfants. Le docteur Dufresne se dĂ©tend dans son jardin et sâoccupe de lâentretien de son terrain. Lâendroit est calme, fĂ©erique et magnifique. Gaby aime bien sây reposer dans son hamac Ă lâombre de ses grands arbres. Le lac est Ă quelques pas et plusieurs fois par jour on y descend pour nager jusquâau radeau attachĂ© au large. Il nây a pas de bruit car le lac nâaccepte pas les bateaux Ă moteur. La vie est belle. Claude aime bien ce chalet si diffĂ©rent de celui de ses parents Ă la Baie Missisiquoi.
Claude rencontre les frĂšres et la sĆur de Manon. Roger, qui a Ă©tudiĂ© au collĂšge Français, joue au Français et sâexprime avec un accent forcĂ© pour les imiter tout en portant autour du cou un long foulard. Il termine son cours en mĂ©decine et veut se spĂ©cialiser en psychiatrie. Il sâapprĂȘte Ă aller se spĂ©cialiser Ă Topeka au Kansas. Lise se dirige vers la psychologie et Marc achĂšve son cours classique et parle dâarchitecture ou de mĂ©decine. Il entrera finalement dans la facultĂ© des disciples dâEsculape. Claude est bien accueilli par ses frĂšres et sa soeur.
Il rencontre la grandâmĂšre Emma, mĂšre de Gaby. Malheureusement, elle est malade et dĂ©cĂšdera, avant la fin de lâannĂ©e, dâun cancer. Gaby, trĂšs attachĂ©e Ă sa mĂšre, dĂ©montre son dĂ©vouement sans borne pour elle et sâen occupe jusquâĂ la fin. Câest une leçon de vie qui marquera Claude et Manon.
Durant lâĂ©tĂ©, Manon et Claude seront Ă tour de rĂŽle au lac Guindon ou Ă la Baie Missisiquoi. Antoinette est au dĂ©but quelque peu gĂȘnĂ©e avec Manon. Pour elle, une fille dâOutremont nâest pas une fille comme les autres Ă cause de son milieu et de son Ă©ducation. Les diplĂŽmĂ©s de cours classique sont rares dans la famille et Ă Verdun. Quant Ă Charles-Ămile, il ne sâen fait pas et agit naturellement. Manon rencontre Pierre-Paul, Francine, Madeleine et quelques-uns des membres de la famille de Claude puisque Charlot, le frĂšre dâAntoinette et Margot ont un chalet pas loin de celui de ses parents.
Antoinette avait bien dĂ©montrĂ© sa gĂȘne, le Jeudi saint dernier, lorsquâelle invita Manon et Claude pour le thĂ©, suite Ă leur « visite des sept Ă©glises» selon les rites de la religion catholique. Chez la famille de Claude, on suivait rigidement le CarĂȘme et il nâĂ©tait pas question de manger entre les repas, mais Antoinette avait quand mĂȘme prĂ©parĂ© pour Manon une assiette de biscuits fins. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que Manon refusa ces gĂąteries justement Ă cause du carĂȘme !
A la fin de lâĂ©tĂ©, Manon rentre Ă lâuniversitĂ© pour terminer sa derniĂšre annĂ©e de droit. Gaby qui surveille toujours les intĂ©rĂȘts de sa fille, veut que les frĂ©quentations soient limitĂ©es durant la semaine et suggĂšre que Claude ne rencontre Manon que le mercredi Ă la maison en lâinvitant Ă venir voir lâĂ©mission de «la famille Plouffe» Ă la tĂ©lĂ©.
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