Un salon de « barbier » est un endroit de prédilection pour discuter de l’actualité et apprendre ce qui se passe. C’est particulièrement vrai dans le cas de la shop de Charles-Émile. On y parle de ce qu’il aime, particulièrement de politique et de hockey. Il veut tout savoir sur la politique, quelque soit le niveau. Au fédéral, au provincial, à la mairie de Montréal, aux élections scolaires et municipales de Verdun et même en Allemagne. Il aime bien connaître l’opinion de ses clients. Il a beau ne pas connaître grand-chose à la situation internationale, il commence à en savoir beaucoup sur l’Allemagne. C’est devenu le sujet de tous les jours autour de sa chaise de « barbier ». Il écoute tout et il rapporte à ses clients ce qu’il a appris. Les nouvelles de la radio ne cessent de couvrir, le midi et à sept heures le soir, ce qui se passe en Allemagne, avec un ou deux jours de retard. D’ailleurs, il a installé son gros poste de radio à caisson en bois sous son comptoir de travail. À l’heure des nouvelles, il syntonise CHLP ou CKAC en français, ou alors CFCF ou CHYC en anglais, selon la clientèle présente à ce moment-là. Dès qu’il hausse le « son », ses clients tendent l’oreille et ils écoutent tous religieusement. Lorsque prend fin le bulletin d’informations, la discussion reprend de plus belle. Le jour où l’on annonce que le ministre de l’intérieur Herman Göring, le numéro deux des Nazis, purge le service de police de Berlin et crée de grands camps de concentration pour loger les policiers limogés, ni ses clients ni Charles-Émile n’ont la moindre idée de ce en quoi consiste un tel camp. Puis ils entendent parler de quelque chose de nouveau : la Gestapo. Ils apprennent que Göring, pour faire taire l’opposition aux Nazis, transforme les SS en corps de police secrète d’état. Le lendemain, le journal La Presse rapporte qu’une « loi de la Gestapo » a été déposée au Reichstag, mettant les affaires de celle-ci à l’abri du regard des tribunaux. Charles-Émile raconte à sa femme que la peur est devenue l’arme de la Gestapo qui menace le peuple Allemand d’arrestation et d’internement dans les camps pour le forcer à être toujours obéissant. Il explique qu’il n’y a plus de liberté personnelle en Allemagne. Antoinette s’exclame : « Qu’on est don’ bien au Canada ». Aucun droit n’étant pour elle plus important que la liberté, elle en oublie, pour un instant, la Dépression et la pauvreté qui frappent Verdun et le pays.
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