Conclusion


Comme il faut se résigner à le constater, le débat sur l’avenir politique du Québec et du Canada ne pourrait pas être engagé sur des bases plus mauvaises et, aujourd’hui, le choix qui s’offre aux québécois n’est guère attirant, tant est lourd le déficit de légitimité qui grève les deux options.

Pour le fédéralisme, le retour à la légitimité passe par la reconnaissance constitutionnelle des responsabilités particulières du gouvernement du Québec à l’égard de la protection et de la promotion de la langue et de la culture françaises en raison du fait qu’il constitue la seule entité politique en Amérique du Nord où les francophones sont majoritaires et qu’il a conséquemment le devoir d’assurer leur sécurité culturelle et de favoriser leur essor, sans pour autant que cela se fasse au détriment des droits des minorités du Québec ou de la responsabilité du gouvernement du Québec de contribuer loyalement au bon fonctionnement de la fédération.

Mais, nous l’avons vu, la légitimité du fédéralisme canadien est désormais remise en question pour d’autres raisons que son incapacité à définir adéquatement le rôle que le Québec devrait y jouer.  L’accumulation d’une très lourde dette l’oblige à redéfinir ses responsabilités en matière de redistribution de la richesse entre les provinces.  La mondialisation de l’économie et la vague de déréglementation qui en découle tout autant que l’émergence de nouvelles technologies l’obligent à remettre en question l’exercice de ses compétences et à examiner l’opportunité qu’il y aurait à ce que certains de ses pouvoirs actuels soient dorénavant assumés par les provinces.  Par ailleurs, le statut des autochtones au Canada demeure régi par des règles d’une autre époque qui font injure à la réputation du Canada de constituer un exemple en matière d’évolution de la démocratie.

L’avenir politique du Canada repose donc sur la capacité du système fédéral à démontrer non seulement qu’il est en mesure d’accommoder la spécificité du Québec et d’évoluer dans le sens des besoins du Canada tout entier, mais également qu’il constitue le meilleur instrument de progrès possible pour tous les canadiens et notamment pour les québécois.  Seul ce Canada-là serait légitime et il n’est désormais plus possible de faire reposer sur les épaules du Québec la responsabilité de l’impasse qui perdure à ce jour et qui risque de provoquer une implosion politique sous la pression croissante des revendications qui surgissent de partout au  pays.

La question se pose de savoir si le leadership actuel à Ottawa jouit d’une autorité et d’un crédit moral suffisants pour initier les réformes nécessaires et les mener à bon port.  La part de responsabilité  qu’il détient dans le déficit de légitimité accumulé par le système fédéral ne peut nous laisser grand espoir de voir la situation se corriger rapidement étant donné qu’il vient d’être reporté au pouvoir dans des conditions qui laissent apparaître de profondes divisions régionales, ce qui  lui rendra la tâche d’autant plus difficile.  Des changements à la tête du gouvernement pourraient modifier la donne.

Si l’option fédéraliste affiche un déficit sur le plan du contenu et du leadership, il faut aussi prendre en compte l’impact négatif qu’a eu le dérapage de la démarche entreprise par Robert Bourassa après le fiasco du lac Meech.  Jusqu’à l’adoption de la Loi 150, tout se déroulait de façon irréprochable. En cherchant à s’assurer d’un contrôle partisan sur les deux commissions qu’il mettait sur pied pour étudier d’éventuelles offres du Canada et pour étudier les conditions d’accession du Québec à la souveraineté, le gouvernement Bourassa ramenait la question de l’avenir du Québec au choix que privilégiait le Parti libéral, alors qu’il s’était jusque là assuré de donner un caractère non-partisan à sa démarche, ce qui avait conféré une légitimité exceptionnelle aux travaux  et aux conclusions de la Commission Bélanger-Campeau.

En revenant sur l’engagement qu’il avait pris de tenir un référendum sur la souveraineté du Québec et en proposant plutôt aux québécois de ratifier l’accord de Charlottetown, Robert Bourassa plongeait son gouvernement dans l’illégitimité la plus totale et le discréditait aux yeux de la population.

N’ayant pas davantage conscience de son devoir de légitimité et ne comprenant pas que celle-ci devenait le fondement obligatoire de sa démarche vers la souveraineté dès lors que la constitution canadienne est muette sur la possibilité d’une province de se retirer de la fédération, le gouvernement péquiste qui lui succéda s’enfonça à son tour dans l’illégitimité avec ses études sur la restructuration, les commissions régionales sur l’avenir du Québec, sa partisanerie méprisante et intolérante et un manque total de transparence dont l’exemple le plus flagrant se trouve dans le libellé de la question référendaire.  Pourtant, les événements des dernières années sont là pour le prouver, jamais la souveraineté n’apparaît-elle plus probable que lorsqu’elle semble procéder d’une démarche collective non-partisane. En revanche, jamais n’apparaît-elle plus difficile, malgré le déficit de légitimité que traîne l’option fédéraliste, que lorsqu’elle semble prisonnière des « astuces » d’un parti essentiellement préoccupé par son désir de l’emporter à tout prix, quels que soient les risques et indépendamment des intérêts supérieurs du Québec.  Comme se plaisait à le répéter Robert Bourassa, « jamais le Québec n’est-il si fort que lorsqu’il est uni. »

Aussi haute la barrière soit-elle, le respect du choix des québécois par le Canada et la reconnaissance d’un Québec indépendant par la communauté internationale exigent que la question référendaire soit claire et simple, de telle façon que la réponse qu’y donneront les québécois constitue l’expression indéniable de leur volonté et ne puisse faire l’objet d’aucune restriction ou interprétation.

Mais, avant d’en arriver là, il faudrait convaincre les québécois que la souveraineté demeure une voie opportune pour assurer leur avenir.  Après avoir vu son option être rejetée par la population à l’occasion du dernier référendum, le gouvernement du Parti québécois est en situation d’illégitimité chaque fois qu’il en fait la promotion. Pour sa part, que cela lui plaise ou non, le P.Q. traîne le fardeau de l’échec référendaire.  Son refus d’en tirer les leçons et sa persistance à entretenir et exploiter les divisions que existent entre les Québécois le placent lui aussi en situation d’illégitimité et compromettent sérieusement ses chances de pouvoir rebâtir la coalition sans laquelle la souveraineté est à la fois impossible et impensable. Il est assez paradoxal de constater que le Bloc québécois, élu à Ottawa avec un mandat clairement souverainiste, se retrouve aujourd’hui seul à pouvoir parler de souveraineté en toute légitimité sur une tribune publique au Québec et au Canada.  S’ils ont leur option à cœur, les souverainistes devraient s’appliquer à développer de nouveaux instruments pour la promouvoir.

Le dénouement de l’impasse dans laquelle se trouve présentement le débat sur l’avenir du Québec passe par la reconnaissance de l’importance que revêt la légitimité dans le processus qui amènera les québécois à faire un choix définitif.  Il faut donc remettre le processus sur les rails en prenant comme point de départ le résultat du référendum.

L’échec de son option et ses responsabilités envers tous les québécois condamnent le gouvernement à la neutralité.  Cependant l’étroitesse de la marge qui sépare les deux options le justifierait pleinement de mettre sur pied une commission non-partisane pour examiner les tenants et les aboutissants des deux options et permettre aux supporteurs de chacune d’en faire valoir la pertinence avant qu’il soit même question d’un autre référendum. Mais il faut bien être conscients qu’il n’est désormais plus possible de trancher le noeud gordien de l’avenir du Québec autrement que par voie référendaire vu les précédents de 1980 et 1995 pour la souveraineté et de 1982 pour le fédéralisme. Ceux qui rêvent de faire l’économie d’une autre consultation populaire n’ont pas les deux pieds sur terre.

La mise sur pied d’une commission sur le modèle suggéré permettrait:

1-  au gouvernement du Québec de se montrer respectueux du résultat du référendum et de rétablir sa légitimité en se déclarant également prêt à reprendre en toute bonne foi les discussions avec le gouvernement fédéral et les provinces sur le renouvellement de la fédération canadienne étant donné la décision des québécois de donner une autre chance au fédéralisme ; 

2- de placer clairement le gouvernement fédéral et les provinces devant leurs responsabilités pour faire la démonstration que le fédéralisme peut accommoder les besoins du Québec et se transformer en instrument de progrès pour tous les canadiens, québécois y compris ; 

3- d’opérer un découplage entre le Parti québécois et la souveraineté qui ne pourrait que s’avérer salutaire à celle-ci tant le monopole idéologique et stratégique qu’il exerce sur son option constitue pour certains un repoussoir, empêche la formation d’une coalition en sa faveur et favorise son exploitation à des fins de chantage contre le gouvernement ; 

4- de placer le Parti libéral du Québec dans la même position à l’endroit du fédéralisme, ce qui lui permettrait de récupérer au passage la légitimité qu’il a perdue dans sa démarche de défense systématique du fédéralisme alors que celui-ci est indéfendable dans sa forme actuelle;

5- de faire sortir le débat sur l’avenir du Québec de l’Assemblée nationale où il s’enlise et s’abîme dans les jeux du pouvoir et de l’opposition et de l’envoyer dans la population où il devrait de toute façon se dérouler, l’avenir du Québec étant un enjeu beaucoup trop important pour en laisser la maîtrise d’œuvre aux seuls politiciens ;

6- de faire en sorte que l’Assemblée nationale puisse enfin se consacrer aux autres débats qui doivent avoir lieu sur l’organisation de la vie dans la société québécoise et que ces débats et les décisions qui doivent s’ensuivre ne soient plus les otages de la question nationale ;

7- de favoriser le réalignement des partis politiques québécois à l’intérieur des schémas classiques de droite, centre et gauche et de permettre à la société québécoise d’évoluer en plus grande harmonie politique avec elle-même et avec le reste du monde ;

8- d’éviter que des partis politiques susceptibles d’exercer le pouvoir à Québec soient identifiés trop étroitement à un débat qui est susceptible de faire ressortir des lignes très profondes de division entre les québécois

9- d’éviter que des membres de la classe politique se placent dans la situation de manquer de respect envers les québécois dans le cadre d’un débat sur un enjeu aussi important et aussi sacré que l’avenir du Québec et du Canada ;

10- de créer un contexte et de développer un climat qui permettraient aux québécois d’en venir enfin, lors d’un prochain référendum, à une décision finale sur leur avenir politique et de donner à cette décision la plus grande légitimité possible. 

       À l’heure actuelle, les deux options constitutionnelles qui s’offrent aux québécois sont discréditées au point où toute indication de préférence pour l’une ou l’autre traduit soit un choix étroitement partisan, soit l’acceptation résignée que l’avenir du Québec se borne à un choix entre la peste et le choléra.

La création de conditions qui permettrait aux deux options de regagner toute leur légitimité dans le cadre d’un processus non-partisan éviterait d’abord aux 40% de québécois que cette question préoccupe et qui tiennent l’avenir du Québec entre leurs mains d’avoir à choisir la moins mauvaise des deux. Elle placerait ensuite tous les québécois dans la situation de pouvoir enfin emprunter en toute confiance la voie qui servirait le mieux leurs intérêts et les intérêts supérieurs du Québec, celle qui nous engagerait résolument sur la voie du progrès.

 

16 SEPTEMBRE 1997